Entretien avec Méline Dutrievoz-Boyer
Educatrice de jeunes enfants de formation, Méline évolue dans le secteur de la petite enfance depuis 2004. Professionnelle de terrain puis directrice de crèche, elle a eu tout le temps d’enrichir son approche de l’éducation sous toutes ses formes ! Formées aux pédagogies Montessori, Reggio Emilia, Createcura, et auteure du concept de la Slow pédagogie, elle partage aujourd'hui son expertise à travers des formations, des accompagnements sur site, des conférences et des articles.
Elle développe des ateliers innovants d'explorations ludiques avec Ebullarium.
Pour mieux la connaitre : www.slow-pedagogie.fr et www.ebullarium.fr
Les experts du développement de l’enfant sont aujourd’hui très clairs. Les premières années de la vie sont capitales pour un être humain puisque c’est durant cette période qu’il réalise ses conquêtes langagières, sociales, sensorielles et motrices, bases sur lesquelles il s’appuiera pour développer son intelligence. Pensez-vous alors qu’il faudrait initier dès le plus jeune âge les enfants à l’art et pour quelles raisons ? Qu'est-ce que cela leur apporte réellement ?
Méline : Effectivement, c’est durant la petite enfance que l’on effectue ces conquêtes essentielles pour un être humain. Faire participer un enfant à un atelier, à une expérience artistique, c’est lui ouvrir une fenêtre sur les possibles. Il découvre l’ingéniosité à travers les associations de couleurs et de matériaux, il découvre qu’il existe différents langages et différentes façon de les exprimer, il vit une expérience à proprement parler, elle-même génératrice d’émotions. Je veux dire par là qu’il s’agit de faire vivre et non de faire faire. C’est aussi pour lui l’occasion d’être sensibilisé à l’esthétique qui est harmonie – et qui n’est pas le Beau.
Que voulez-vous dire par harmonie qui ne serait pas le Beau ?
Méline : Lorsqu’un enfant est confronté à une œuvre d’art, c’est incroyable comme il est attentif. En fait, il ordonne, classe, organise, différencie, assemble tout ce qui lui est donné à voir. C’est un formidable exercice pour apprendre à mettre en relation, à distinguer, à comprendre ce qui est chaos et ce qui est harmonie – même si parfois le chaos est une combinaison harmonieuse !
C’est amusant, l’image la plus répandue de l’art et des artistes est assez éloignée de ce que vous venez de décrire : classer, organiser, distinguer… D’une certaine façon, au contraire de la caricature que l’on peut rencontrer parfois, l’art est aussi une voie vers le logos, vers la raison et l’analyse logique. Et pourtant nous sommes loin des mathématiques ou de la physique !
Méline : Tout à fait ! Mais c’est précisément tout l’intérêt de ce genre d’atelier. Souvenez-vous, je vous parlais des différents langages au début de notre entretien. À vrai dire, vivre une expérience artistique, c’est trouver une autre voie que les chemins bien balisés de l’éducation classique. Je n’ai rien contre celle-ci bien au contraire, mais je veux dire aux enfants qu’ils peuvent construire leur propre chemin vers d’autres horizons que ceux traditionnellement promus.
D’accord, mais alors finalement, l’œuvre d’art présentée ne serait-elle pas juste un prétexte ? On a le sentiment à vous entendre que n’importe quelle œuvre d’art pourrait servir cet objectif d’ouverture au divers, à l’alternative.
Méline : Pas tout à fait. Mais il est vrai qu’à mon sens, il n’y a aucun intérêt à vouloir donner un cours d’histoire de l’art à des enfants pas plus qu’il n’y en a à vouloir en faire des plasticiens émérites. Non. Ce qui compte, ce sont les compétences intrapersonnelles (Ndlr : connaissance de soi) et interpersonnelles (Ndlr : connaissance des autres, de la différence, des échelles de valeur) générées par la confrontation à des œuvres d’art.
Plus précisément, comment faites-vous pour éveiller ces compétences. Que mettez-vous en place ? Pourquoi ne pas se contenter des vidéos de vulgarisation aux arts sur internet ? Certaines sont mêmes pensées pour les enfants.
Méline : Tout d’abord, un enfant n’a pas besoin d’être animé (rires), il s’anime tout seul ! Notre mission en tant qu’adultes, c’est plutôt de donner du relief à une œuvre pour qu’elle soit rendue sensible aux enfants. Un enfant a besoin d’être acteur. Pour cette raison, si je dois préparer une expérience artistique pour des enfants, je choisis les œuvres d’art en fonction de l’axe que j’ai choisi de développer : juxtaposition des couleurs ou des formes, nuances, contrastes etc… Bon, parfois, j’ai juste un énorme coup de cœur pour une œuvre et je m’arrange pour l’utiliser !
Concernant votre deuxième question sur les supports vidéos, je n’ai rien contre. Mais cela doit rester un complément, il y a une énorme plus-value à l’expérience immersive. Un écran, c’est lisse ; l’enfant a besoin de relief, de sensible : il a besoin d’être acteur comme je le disais.
Mille mercis Méline pour cet entretien enrichissant qui achève de nous convaincre qu’il faut permettre au plus grand nombre d’enfants d’avoir accès aux arts et à la culture ! Le mot de la fin ?
Méline : Merci à vous pour cet entretien ! Le mot de la fin… La plupart des adultes ont cessé de s’interroger, de s’arrêter sur des détails improbables comme le font les enfants. Notre rôle, c’est de sauvegarder cette capacité à s’émerveiller, à remarquer, à s’enthousiasmer !
Propos recueillis par Alexandre G.
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